Page:Vinet - Boutmy - Quelques idées sur la création d'une faculté libre d'enseignement supérieur.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
- 20 -

Est-ce de notre part un espoir chimérique, un excès d’ambition ? Permettez-moi, mon cher ami, de développer à mon tour ce qui m’autorise à croire le contraire, et ce qui me pousse à m’associer si librement et si franchement à vos efforts.

Depuis longtemps, on parle de la nécessité de répandre l’instruction dans les classes ouvrières ; ce que nous voulons, nous, c’est qu’une instruction solide vienne remplacer dans les classes riches ou aisées, chez les hommes de loisir, cette culture superficielle de l’esprit que la seule lecture des revues et des journaux suffit pour donner. Le pauvre aura, en quelque sorte, le droit d’être ignorant tant que l’instruction ne sera pas obligatoire. Chez le riche, c’est une tache, un détestable exemple.

Il faut bien l’avouer, le Français, si spirituel autrefois, ingénieux et pénétrant toujours, est fondamentalement léger et paresseux, dans les villes principalement. Cette vérité peut paraître banale ; ce qui l’est moins, je le crois, c’est que la paresse accompagne souvent le bien-être et la prospérité chez un peuple. Elle s’établit et s’incruste dans ces civilisations superfines, où d’un côté on ne sait qu’inventer pour satisfaire le goût du plaisir, tandis que de l’autre le développement excessif des intérêts matériels et des jouissances étouffe le développement de l’esprit. En vérité, je ne sais rien qui alourdisse plus les âmes.

Regardez autour de vous, mon cher ami, et voyez où en est notre jeunesse bourgeoise. Rendre le travail facile, faire en sorte qu’au bout de quelques mois et sans trop contrarier le far niente, dont ils savourent pen-