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être pour le seul plaisir de suivre des idées au vol qu’elle s’était déterminée à côtoyer, à chaque heure du jour et de la nuit depuis trois années, la folie, le delirium tremens, les fièvres d’hallucination, etc., et tout le cortége de la Pensée.

Elle était parvenue à cette hauteur où les sensations se prolongent intérieurement jusqu’à s’évanouir d’elles-mêmes ; c’étaient comme des rapprochements familiers de ses actions présentes avec des souvenirs confus… Des avertissements lui venaient de toute part, de l’Impersonnel, silencieusement. Ces phénomènes se posaient devant sa pensée comme devant un miroir impassible : une obscurité imprévue pesait sur ses moindres actions ; il lui semblait qu’elle distinguait, sans efforts, le point où les profondeurs de la vie banale vont s’enchaîner aux rêves d’un monde invisible, de sorte que les détails de chaque jour, devenus définis, avaient une signification lointaine pour son âme…

Elle avait vingt-quatre ans. Elle avait voyagé, comparé, médité sur les lois sociales, appris les détails des grandes causes : à dater du jour où elle avait parlé seule, sa volonté parut avoir pris pos-