Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disparue et qui demeuraient, quand même, des gens de jadis.

C’était grâce à la fortuite circonstance de deux colporteurs venus des villes, — et qui, naguère, perdus en ces parages, avaient vendu au vieil intendant de Kerléanor la provision de jeux (dames, cartes, échecs et tric-trac) recelée en leur balle, — que cette paisible distraction du soir était venue rompre la monotonie des heures. Ceux-ci, avec des airs indéfinissables après quelques mots échangés entre eux, à voix basse, avaient cédé le tout, en bloc, heureux de l’aubaine, en se hâtant de disparaître.

Les enjeux, naturellement, se limitaient à un petit sou la fiche.

Or, un soir, comme un bon feu d’automne brûlait ses sarments dans la haute cheminée du salon d’apparat, l’inconstante Fortune avait paru sourire plus particulièrement au chevalier : les rayons d’or de la roue mystérieuse s’étaient comme fixés sur ses cartes ! — si bien que, de rubber en rubber, il arriva — grâce à une impardonnable « absence » de l’abbé, — que le mort, tenu par d’Aiglelent, présenta tout à coup les symptômes victorieux du chelem.

C’était, on en conviendra, couronner dignement les succès déjà brillants du chevalier ! — La duchesse ayant rendu naïvement à l’abbé, son partenaire, l’inconséquente invite de celui-ci, d’Aiglelent se défit d’un singleton, puis coupa. Et atout, et atout ! Deux tours encore et le chelem y était !