Page:Villiers de L’Isle-Adam - Axël, 1890.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.

protégerait, aujourd’hui, ton évasion, je le sais : — tu ne t’évaderas pas. Si, au fond de ton cœur, quelque secret solitaire se cache, comme un serpent dans un rocher, oublie-le, car il te sera stérile : — et il te sera stérile parce que tu es pauvre, ayant abandonné tes biens à la cause de la Foi… comme par un dernier mouvement de l’Inspiration divine et de la Grâce ! — Non, tu n’iras point par les chemins, comme une errante, jeter à tous les vents, pareille aux humains, le peu qui te reste de ton âme ! Nous répondons, entends-tu, de cette âme-là. — Te penses-tu libre, devant nous, qui avons appris aux hommes à morigéner la Force et qui savons, seuls, en quoi consiste le Droit ? Qu’était ce donc, une femme, ici-bas, avant les Chrétiens ? C’était l’esclave. Nous l’avons affranchie et délivrée… et tu prononcerais, devant nous, le mot de liberté, comme si nous n’étions pas la Liberté même ! — Écoute, et pèse bien mes paroles : notre Justice et notre Droit ne relèvent point de ceux des hommes. C’est nous qui, dans leur intelligence, essentiellement fratricide, avons fondé et allumé, pour leur salut, ces idées dominatrices. Ils l’ont oublié, je le sais : aussi en parlent-ils, à cette heure, comme ils parlaient dans la tour de Babel, sans pouvoir s’entendre les uns les autres sur le sens du verbe