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l’ombre d’antiques forêts. Si, au printemps, séduit par la beauté de leur onde mortelle, vous y plongez une jeune feuille verte et toute vivante encore de sève, vous la retirez pétrifiée.

― C’est juste, dit Edison, pensif.

Et, comme il observait le jeune homme, il vit distinctement flotter le suicide dans le regard vague et profond de lord Ewald.

― Milord, dit-il, vous êtes la proie d’un mal juvénile qui se guérit de lui-même. Oubliez-vous que tout s’oublie ?

― Oh ! dit lord Ewald en replaçant son lorgnon, me prenez-vous pour un inconsistant ? J’ai le caractère et la nature faits de telle manière que, tout en pesant parfaitement l’absurdité de cette « passion », je n’en subis pas moins la hantise, la douleur et l’ennui. Je sais jusqu’où je suis touché. C’est fini. Et maintenant, ami, puisque la confidence est faite, n’en parlons plus.

Edison releva la tête et considéra quelques instants ce pâle et trop noble jeune homme, comme un opérateur regarde un malade abandonné.

Il méditait ; ― il hésitait !

On eût dit qu’il rassemblait ses forces et ses pensées pour quelque projet étrange et inconnu.

― Voyons ! nous disons donc, reprit-il, que vous êtes l’un des plus brillants seigneurs de l’Angleterre. Vous savez qu’il est des compagnes qui ennoblissent toutes les joies de la vie, des jeunes filles radieuses et dont l’amour ne se donne positivement qu’une fois : oui, des cœurs sacrés, des êtres d’aurore et d’idéal. ― Et vous, milord, vous dont le front rayonne d’une si lumineuse intelligence, vous qui