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Mais, si l’on fait tant de frais pour cette statue, alors, ― j’aurai du succès ?

Je l’avoue, cette parole me donna le vertige. La Sottise (poussée ainsi jusqu’aux cieux !) me parut comme une damnation. Déconcerté, je m’inclinai.

― Je l’espère, lui répondis-je.

Je la reconduisis chez elle. Ce devoir accompli, je revins au Louvre.

Je rentrai dans la salle sacrée ! Et après un regard sur la Déesse, dont la forme contient la Nuit-étoilée, ah ! pour l’unique fois de ma vie, j’ai senti mon cœur se gonfler de l’un des plus mystérieux sanglots qui aient étouffé un vivant.

Ainsi cette maîtresse, dualité animée qui me repousse et m’attire, me retient à elle par cela même, comme les deux pôles de cet aimant attachent à lui, par leur contradiction, ce morceau de fer.

Toutefois, je ne suis pas d’une nature capable de subir longtemps l’attrait (si puissant qu’il soit) de ce que je dédaigne à moitié. L’amour où nul sentiment, nulle intelligence ne se mêle à la sensation me semble offensant envers moi-même. Ma conscience me crie qu’il prostitue le cœur. Les réflexions très décisives que ce premier amour m’a inspirées, en me donnant un grand éloignement pour toutes les femmes, m’ont conduit au plus incurable spleen.

Ma passion d’abord ardente pour les lignes, la voix, le parfum et le charme extérieur de cette femme, est devenue d’un platonisme absolu. Son être moral m’a glacé les sens à jamais : ils en sont devenus purement contemplatifs. Voir en elle une