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d’idées, à celle dont elle me dit que « je suis un gentilhomme » : cela cause une impression qui fait un peu rougir. ― Ainsi, elle a foi dans un Dieu d’une sublimité éclairée, entendue : ― elle peuple son paradis de martyrs qui n’exagèrent rien ; d’élus honorables, de saints compassés, de vierges pratiques, de chérubins convenables. Elle croit à un ciel, mais à un ciel de dimensions rationnelles ! ― Son idéal serait un ciel terre à terre, enfin, car le soleil, même, lui paraît trop dans les nuages, trop dans le bleu. »

Le phénomène de la Mort la choque beaucoup. Cela, par exemple, lui semble un excès qu’elle ne comprend pas : cela « ne lui paraît plus de notre temps. » Voilà l’ensemble de ses « idées mystiques. » Pour conclure, ce qui déconcerte en elle, c’est le fait de cette presque surhumaine beauté recouvrant de son divin voile ce caractère de modération plate, cet esprit de vulgarisme, cette exclusive et folle considération pour ce que l’Or, la Foi, l’Amour et l’Art ont de purement extérieur, c’est-à-dire de vain et d’illusoire ; c’est ce sinistre rétrécissement de l’intellect enfin, qui rappelle les résultats obtenus par les habitants des rives de l’Orénoque, lesquels serrent, entre des ais, le crâne de leurs enfants, pour les empêcher de pouvoir jamais penser à des choses trop élevées. En revêtant ce fond de caractère d’une suffisance placide vous aurez, à peu près, ce à quoi se réduit l’impression que laisse d’elle miss Alicia Clary.

Je dis donc que le spectacle abstrait de cette femme a tué ma joie, continua lord Ewald après un silence. Quand je la regarde et l’écoute, elle me