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que vous pouvez aimer, à celles qui ont perdu tout sentiment d’un autre destin. Adieu !

S’il veut, au contraire, m’abandonner ― sans même tenter ma possession, ― s’il s’éloigne désespéré, lui aussi, mais sans avoir même l’idée de profaner le rêve que je lui aurai pour jamais inspiré, ― alors, à ce signe, je reconnaîtrai qu’il est… qu’il est de mon pays ! Je verrai cette chose imprécise, qui est la seule sérieuse entre les choses, passer dans ses yeux où trembleront des larmes saintes ! Je constaterai qu’il mérite toute ma tendresse, et peu d’instants alors, suffiront ― ah ! pour nous rendre les cieux.

Maintenant, si l’épreuve me démontre, en lui, le mensonge redouté, si je me vois condamnée à la solitude, eh bien ! la solitude, plutôt ! Et, déjà, je me sens ressuscitée à des appels plus augustes que ceux des sens et du cœur. Je ne veux plus être trahie ! L’Art seul efface et délivre. ― Renonçant donc aux soi-disant réels attachements de la terre, je me survivrai, sans regrets, en ces êtres immortellement imaginaires que crée le Génie, et je les animerai de mon chant mystérieux. Ce seront mes seules compagnes, mes seules amies, mes uniques sœurs : ― et, comme pour la Maria Malibran, il se trouvera bien quelque grand poète pour immortaliser ma forme, ma voix, mon âme et ma cendre ! Ainsi, je cacherai ma mélancolie dans la lumière et je m’en irai dans ces régions de l’Idéal où l’insulte des humains n’atteint plus.

― Peste ! dit Edison.

― Oui, reprit lord Ewald, tel fut l’impossible secret dont, pour m’expliquer cette femme, j’essayai