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capable et je le crois d’autant plus « sincère » hélas ! que c’est malgré elle qu’elle le subit.

― Voulez-vous, dit Edison, reprendre à présent, le récit logique de cette aventure, mon cher lord, au point même de mon interruption ?

― Après quelques soirées, j’appris de cette amie qu’elle était d’une assez bonne famille de l’Écosse, anoblie même de nos jours. Séduite par un fiancé, puis abandonnée pour une fortune, Alicia venait de quitter la demeure paternelle : elle se proposait de mener l’existence indépendante et nomade d’une virtuose ; elle y renoncerait plus tard. Sa voix, son extérieur, son talent dramatique lui assuraient, si elle devait en croire quelques sérieux avis, une aisance au moins suffisante pour ses goûts modestes. ― Quant à moi, disait-elle, elle se félicitait de cette rencontre du premier instant de son évasion ! Ne pouvant plus être épousée, mais se sentant de la sympathie pour ma personne, elle accueillait, sans autre exigence, l’amour dont je la pressais et dont elle espérait pouvoir partager bientôt l’inclination.

― À tout prendre, interrompit Edison, ces aveux marquent une certaine dignité de cœur, j’imagine ?… hein ? ― Non ?

Lord Ewald le regarda d’une manière indéfinissable.

On eût dit qu’il touchait au point le plus pénible de sa confidence mélancolique.