Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ici, mon cher Edison, qu’il me soit permis de vous le dire : jusqu’à cette rencontre les occasions de ce que l’on appelle des liaisons mondaines m’avaient, toujours en vain, favorisé.

Une sauvagerie de ma nature m’avait toujours strictement préservé de quelque bonne fortune que ce fût. ― Si je n’eus jamais de fiancée, il m’était inné, en effet, de ne pouvoir aimer ou désirer, même un instant, d’autre femme que celle ― inconnue encore, mais appelée, peut-être, ― à devenir la mienne.

Très « en retard » je prenais à ce point l’amour conjugal au sérieux. Ceux de mes visiteurs les plus amis qui ne partageaient pas mon ridicule à cet égard me surprenaient, et, même aujourd’hui, hélas, je plains toujours les jeunes hommes qui, sous de lâches prétextes, trahissent d’avance celle qu’un jour ils épouseront. De là ce renom de froideur dont m’avaient illustré, jusque chez la reine, quelques rares familiers, qui me prétendaient à l’épreuve des Russes, des Italiennes et des créoles.

Eh bien, il arriva ceci : en quelques heures, je devins passionnément épris de cette voyageuse que je voyais pour la première fois ! ― À notre arrivée à Londres, j’en étais ― sans même le savoir ― à ce premier et sans doute dernier amour qui est de tradition chez les miens. Bref, en peu de jours, entre elle et moi d’intimes liens s’établirent : ils durent encore ce soir.

Puisque vous n’êtes plus, en ce moment, qu’un mystérieux docteur auquel il ne faut rien cacher, il devient nécessaire, pour l’intelligence même de ce que je dois ajouter, de vous dépeindre, d’abord,