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la contemplait avec stupeur, ajouta, soudainement rieuse :

― Oh ! quels singuliers vêtements nous portons ! ― Pourquoi mets-tu ce morceau de verre dans ton œil, en me regardant ? Tu n’y vois donc pas bien, non plus ?

Mais… voici que je t’adresse des questions, comme une femme ! ― et il ne faut pas que je devienne femme : je changerais !

Puis, sans transition et d’une voix sourde :

― Emmène-moi là-bas, dans ta patrie ! dans le château sombre ! Oh ! j’ai hâte de m’étendre en mon noir cercueil de soie, où je dormirai pendant que l’Océan nous portera vers ton pays. Laisse les vivants s’enfermer, à l’étroit de leurs foyers, en des paroles et des sourires ! Que t’importe ! Laisse-les se trouver plus « modernes » que toi, ― comme si, bien avant la Création des mondes et des mondes, les temps ne furent pas tout aussi « modernes » qu’ils le sont ce soir et qu’ils le seront demain !

Profite de tes hautes murailles, gagnées et cimentées par le sang lumineux que répandirent les tiens, alors qu’ils forgeaient ta patrie.

Crois bien qu’il y aura toujours de la solitude sur la terre pour ceux qui en seront dignes ! Nous ne daignerons pas même rire de ceux que tu quittes, bien que pouvant leur rendre, avec une meurtrière usure, leurs sarcasmes d’insensés, d’ennuyés et d’aveugles, ivres d’un orgueil à jamais risible, puéril et condamné.

Est-ce que nous aurons le temps de penser à eux ! D’ailleurs, on participe toujours de ce que à