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― Crains-tu de m’interrompre ? reprit-elle ; prends garde. Tu oublies que ce n’est qu’en toi que je puis être palpitante ou inanimée, et que de telles craintes peuvent m’être mortelles. Si tu doutes de mon être, je suis perdue, ― ce qui signifie également que tu perds en moi la créature idéale qu’il t’eût suffi d’y appeler.

Oh ! de quelle merveilleuse existence puis-je être douée si tu as la simplicité de me croire ! si tu me défends contre ta Raison !

À toi de choisir entre, moi… et l’ancienne Réalité, qui, tous les jours, te ment, t’abuse, te désespère, te trahit.

T’ai-je déplu ? Ce que je t’ai dit t’a paru bien grave, peut-être, ou d’images trop subtiles ? C’est que je suis très grave et très subtile, ― mes yeux ont réellement pénétré jusque dans les domaines de la Mort.

Songe, et tu verras que penser de cette façon est nécessairement la seule, toute simple, pour moi. Préfères-tu la présence d’une femme joyeuse, et dont les paroles ressemblent à des oiseaux ? — C’est bien facile ; si tu appuies le doigt sur la flamme bleue de ce saphir qui brûle à la droite de mon collier, je serai transfigurée en une femme de cette nature ― et tu regretteras la disparue. J’ai tant de femmes en moi qu’aucun harem ne pourrait les contenir. Veuille, elles seront ! Il dépend de toi de les découvrir en ma vision.

Mais, non ! ces autres semblances féminines qui dorment en moi, ― ne les éveille pas. Je les dédaigne un peu. Ne touche pas à ce fruit mortel en ce jardin ! Tu t’étonnerais encore ― et je suis encore