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le premier soir, Edison l’avait trop puissamment maniée et avec de trop amers sarcasmes, ― et, depuis, avait eu trop le loisir de l’entendre, pour s’être jamais laissé aller à de stériles essais de guérison morale.

Cependant, cette manière douce de s’intéresser à lui le surprenait. C’était le premier bon mouvement d’Alicia ; l’instinct de quelque chose de grave était donc bien averti en elle ?..

Une idée plus raisonnable et plus simple remplaça ces premières suppositions.

Le poète se réveilla dans son esprit. Il se dit que la soirée, autour d’eux, était vraiment de celles où il est bien difficile à deux êtres humains, dans l’épanouissement de la beauté, de la jeunesse et de l’amour, de ne pas se sentir un peu plus que de ce monde ; que les mystères féminins sont plus profonds que la pensée ; que les cœurs les plus obscurs, soumis à des influences sublimes et sereines, peuvent, en un instant, s’éclairer d’une lueur qui leur était inconnue ; que ces douces et salutaires ombres invitaient, du moins, à cette espérance ; et qu’enfin sa malheureuse maîtresse pouvait, elle aussi, sans même se rendre compte d’une telle impression, ressentir cet appel divin dans tout son être. Allons ! Il devait tenter, au nom de la nuit, un suprême effort de résurrection vers l’âme jusque-là sourde et aveugle, mort-née pour ainsi dire, de celle qu’il aimait avec douleur.

C’est pourquoi, l’attirant doucement, plus près encore de sa poitrine :

― Chère Alicia, dit-il, ce que j’aurais à te dire est fait de joie et de silence : mais d’une joie re-