Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.

façon fatale, de l’amour que son corps m’inspira ? ― pourquoi ne dois-je pas, enfin, me contenter, (comme le feraient la presque totalité de mes semblables), de jouir, uniquement, de la beauté physique de cette créature, en ne tenant nul compte de ce qui l’anime ?

Parce que je ne puis atténuer en ma conscience, par aucun raisonnement, une très secrète certitude ― qui en est indivisible ― et dont la permanence travaille tout mon être d’un insupportable remords.

Je ressens, en cœur, en corps et en esprit, qu’en tout acte d’amour on ne choisit pas que la part de son désir et que l’on se brave soi-même, ― par lâcheté sensuelle, ― en se prétendant l’insoucieuse faculté d’exclure de cette forme, ― avec laquelle on accepte quand même de mêler la sienne, ― l’intime essence qui, l’animant, peut seule produire cette forme et les désirs qui en émanent : on épouse le tout. Je dis que tout amoureux cherche inutilement à étouffer en lui cette arrière-pensée qui est absolue comme lui-même, savoir qu’il se pénètre, lui, d’une manière indélébile, de cette ombre de l’âme possédée quand même avec le corps et qu’il espère illusoirement pouvoir exclure de la possession, lorsque l’idée en gêne son plaisir.

Et, ne pouvant, vous dis-je, bannir ― en aucun instant de la vie quotidienne ― cette évidence intérieure qui m’obsède, savoir que mon moi, mon être occulte, enfin, désormais est imbu de cette âme pâteuse, aux instincts sans lumière, qui ne saurait extraire la beauté d’aucune chose ― (alors que les choses ne sont que ce qu’elles sont conçues et que nous ne sommes, en réalité, que ce que nous