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Selon toute convenance, mon premier appariteur est aussi une femme, une grande statuaire inconnue, qui, demain même, dans mon laboratoire, commencera l’œuvre. Votre bien-aimée n’aura pas, en son indispensable nudité, d’autre transpositrice que cette artiste profonde qui n’idéalise pas, mais décalque, et, pour se saisir de la forme mathématique du corps de votre vivante, débutera par prendre, très vite, sous mes yeux vigilants et glacés, ― avec des instruments de la plus souveraine précision, ― les taille, hauteur, largeur, mesures strictes des pieds et des mains, du visage et de ses traits, des jambes et des bras, ainsi que le poids exact du corps de votre jeune amie. Ce sera l’affaire d’une demi-heure.

Hadaly, invisible, debout, cachée derrière les quatre grands objectifs, attend son incarnation.

Et voici que cette substance charnelle, éclatante et humaine s’unifie, grâce à de minutieuses précautions, à l’armure andréïdienne, selon les épaisseurs naturelles de la belle vivante. ― Comme cette substance se prête, sous de très fins outils, à une ciselure d’une ténuité idéale, le vague de l’ébauche disparaît très vite : le modelé s’accuse, les traits apparaissent, mais sans teint ni nuances ; c’est la statue attendant le Pygmalion créateur. La tête seule coûte autant de travail et d’attention soutenue que le reste du corps, à cause du jeu des paupières, du lobe froid des oreilles, de la palpitation douce des narines pendant la respiration, des transparences à venir, du veiné des tempes, des plis des lèvres, lesquelles sont d’une substance plus châtiée encore par l’hydraulique que la plupart des autres