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longé jusqu’aux Cieux, peut-être ! ― qui ait jamais été poussé par un vivant.

En effet, ce que disaient, en réalité, ces deux hommes, l’un avec ses calculs littérairement transfigurés, l’autre avec son silence d’adhésion, ne signifiait par autre chose que les paroles suivantes, adressées, inconsciemment, au grand X des Causes premières.

« La jeune amie que tu daignas m’envoyer, jadis, pendant les premières nuits du monde, me paraît aujourd’hui devenue le simulacre de la sœur promise et je ne reconnais plus assez ton empreinte, en ce qui anime sa forme déserte, pour la traiter en compagne. ― Ah ! l’exil s’alourdit, s’il me faut regarder, seulement, comme un jouet de mes sens d’argile, celle dont le charme consolateur et sacré devait réveiller, ― en mes yeux si las de l’aspect d’un ciel vide ! ― le souvenir de ce que nous avons perdu. À force de siècles et de misères, le permanent mensonge de cette ombre m’ennuie ! rien de plus : et je ne me soucie plus de ramper dans l’Instinct, d’où elle me tente et m’attire, jusqu’à m’efforcer de croire, toujours en vain, qu’elle est mon amour.

« C’est pourquoi, passant d’une heure et qui ne sais d’où je viens, je suis ici, cette nuit, dans un sépulcre, essayant, ― avec un rire qui contient toutes les mélancolies humaines, ― et m’aidant, comme je le peux, de la vieille Science défendue ― de fixer, au moins, le mirage, ― rien que le mirage, hélas ! ― de celle que ta mystérieuse Clémence me laissa toujours espérer. »

Oui, telles étaient, à peu près, les pensées que