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soi-même. Être sincère ? Voilà le seul rêve tout à fait irréalisable. Sincère ! Comment serait-ce possible, puisqu’on ne sait rien ? puisque personne n’est, vraiment, persuadé de rien ! puisque l’on ne se connaît pas soi-même ? ― L’on voudrait convaincre son prochain que l’on est, soi-même, convaincu d’une chose ― (alors que, dans la conscience mal étouffée, l’on entend, l’on voit, l’on sent le douteux de cette même chose) ! ― Et pourquoi ? Pour se magnifier d’une foi d’ailleurs toute fictive, dont personne n’est dupe une seconde et que l’interlocuteur ne feint d’admettre… qu’afin qu’il lui soit rendu la pareille tout à l’heure. Comédie, vous dis-je. Mais si l’on pouvait être sincère, aucune société ne durerait une heure, ― chacun passant l’existence à se donner de perpétuels démentis, vous le savez ! Je défie l’homme le plus franc d’être sincère une minute sans se faire casser la figure ou se trouver dans la nécessité de la briser à ses semblables. Encore une fois, que savons-nous, pour oser émettre une opinion sur quoi que ce soit qui ne soit pas relative à mille influences de siècle, de milieux, de dispositions d’esprit, etc. ― En amour ? Ah ! si deux amants pouvaient jamais se voir réellement, tels qu’ils sont, et savoir, réellement, ce qu’ils pensent ainsi que la façon dont ils sont conçus l’un par l’autre, leur passion s’envolerait à la minute ! Heureusement pour eux ils oublient toujours cette loi physique inéluctable : « deux atomes ne peuvent se toucher. » Et ils ne se pénètrent que dans cette infinie illusion de leur rêve, incarnée dans l’enfant, et dont se perpétue la race humaine.

Sans l’illusion, tout périt. On ne l’évite pas. L’il-