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vent, d’instinct, graduer à cet amant les découvertes de toutes leurs vacuités de la manière la plus ingénieuse : les simples passants n’ayant pas même le temps d’en apercevoir le nombre et la gravité. ― Elles accoutument sa vue, par d’insensibles dégradations de teintes, à une lumière douceâtre qui en déprave la rétine morale et physique. Elles ont cette secrète propriété de pouvoir affirmer chacune de leurs laideurs avec tant de tact que celles-ci en deviennent des avantages. Et elles finissent par faire ainsi passer, insensiblement, leur réalité (souvent affreuse) dans la vision initiale (souvent charmante) qu’elles en ont donnée. L’habitude vient, avec tous ses voiles ; elle jette sa brume ; l’illusion s’empire : ― et l’envoûtement devient irrémédiable.

Cette œuvre semble dénoncer une grande finesse d’esprit, une intelligence des plus habiles ? ― mais c’est là une illusion aussi grande que l’autre.

Ces sortes d’êtres ne savent que cela, ne peuvent que cela, ne comprennent que cela. Ils sont étrangers à tout le reste, ― qui ne les intéresse pas. C’est de la pure animalité.

Tenez : l’abeille, le castor, la fourmi, font des choses merveilleuses, mais ils ne font que cela et n’ont jamais fait autre chose. L’animal est exact, la naissance lui confère avec la vie cette fatalité. Le géomètre ne saurait introduire une seule case de plus dans une ruche, et la forme de cette ruche est, précisément, celle qui, dans le moindre espace, peut contenir le plus de cases. Etc. L’Animal ne se trompe pas, ne tâtonne pas ! L’Homme, au contraire (et c’est là ce qui constitue sa mystérieuse noblesse, sa sélection divine), est sujet