Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.

industrie étant celle des cotons, il avait trouvé le moyen de gommer et de calendrer la toile par un procédé économique de seize et demi pour cent sur les procédés connus. Il fit fortune.

Une situation affermie, deux enfants, une vraie compagne, vaillante et heureuse, c’était, pour ce digne garçon, le bonheur conquis, n’est-ce pas ? Un soir, à New York, à la fin d’un meeting où l’on avait clos, dans les hurrahs, l’issue de la fameuse guerre de Sécession, deux de ses voisins de table émirent le projet de terminer leur fête au théâtre.

Anderson, en époux exemplaire et en travailleur matinal, ne s’attardait, d’ordinaire, que bien rarement, et toujours avec ennui, loin de son home. Mais, le matin même, une futile petite nuée de ménage, une discussion des plus inutiles, s’était élevée entre mistress Anderson et lui, mistress Anderson lui ayant manifesté le désir qu’il n’assistât pas à ce meeting, ― et cela sans pouvoir motiver ce désir. Donc, par esprit de « caractère » et préoccupé, Anderson accepta d’accompagner ces messieurs. ― Lorsqu’une femme aimante nous prie, sans motif précis, de ne point faire une chose, je dis que le propre d’un homme vraiment complet est de prendre cette prière en considération.

L’on donnait le Faust de Charles Gounod. ― Au théâtre, un peu ébloui par les lumières, énervé par cette musique, il se laissa gagner par la torpeur de cette sorte de bien-être inconscient que dégage l’ensemble de telles soirées.

Grâce aux propos tenus, dans la loge, auprès de lui, son regard, errant et vague, fut appelé sur une adolescente rousse comme l’or et fort jolie entre