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vous serez dans votre château d’Athelwold, où vous pourrez éveiller son ombre… céleste.

― Dans mon manoir ?… ― Oui, au fait, là, c’est possible ! ― murmura lord Ewald comme à lui-même et tout éperdu d’une terrible mélancolie.

― Là, seulement, dans ce brumeux domaine, entouré de forêts de pins, de lacs déserts et de vastes rochers, là, vous pourrez, en toute sécurité, ouvrir la prison de Hadaly. Vous avez, je pense, en ce château, quelque spacieux et splendide appartement dont le mobilier date de la reine Élisabeth ?

― Oui, répondit lord Ewald avec un amer sourire : et j’ai pris, moi-même, autrefois, le soin de l’embellir de toutes sortes d’œuvres merveilleuses et d’ornements précieux.

Le vieux salon ne parle à l’esprit que du passé. La grande, l’unique fenêtre à vitraux, sous des draperies surchargées de séculaires fleurs d’or terni, s’ouvre sur un balcon de fer dont la balustrade, encore brillante, fut forgée sous le règne de Richard III. Des marches, obscurcies de mousse, en descendent jusqu’en notre vieux parc ― et, plus loin, des allées perdues, sauvages, se prolongent sous l’ombrage des chênes.

J’avais destiné cette souveraine demeure à la fiancée de ma vie, si je l’eusse rencontrée.

Lord Ewald, après un morne frisson, continua :

― Eh bien, soit ! J’essaierai de tenter l’Impossible : oui, j’y amènerai cette illusoire apparition, cette espérance galvanisée ! Et, ne pouvant plus aimer, ni désirer, ni posséder l’autre, ― l’autre fantôme, ― je souhaite que cette forme déserte