Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lord Ewald, l’on dirait que, sérieusement, vous me croyez capable de devenir « amoureux » de miss Hadaly ?

― Ce serait, en effet, ce que j’aurais à redouter si vous étiez un mortel comme les autres ! répondit Edison : mais vos confidences m’ont rassuré. N’avez-vous pas attesté Dieu, tout à l’heure, qu’en vous s’était à jamais annulée toute idée de possession de votre belle vivante ? ― Vous aimerez donc, vous dis-je, Hadaly, comme elle le mérite, seulement : ce qui est beaucoup plus beau que d’en être amoureux.

― Je l’aimerai ?

― Pourquoi pas ? Ne doit-elle pas s’incarner à jamais en la seule forme où vous concevez l’Amour ? Et, matière pour matière, puisque nous venons de nous rappeler que la chair, n’étant jamais la même, n’existe, à peu près, qu’en imaginaire, chair pour chair, celle de la Science est plus… sérieuse… que l’autre.

― On n’aime qu’un être animé ! dit lord Ewald.

― Eh bien ! demanda Edison.

― L’âme, c’est l’inconnu ; animerez-vous votre Hadaly ?

― On anime bien un projectile d’une vitesse de X ; or, X, c’est l’inconnu, aussi.

― Saura-t-elle qui elle est ? ce qu’elle est, veux-je dire ?

― Savons-nous donc si bien, nous-mêmes, qui nous sommes ? et ce que nous sommes ? Exigerez-vous plus de la copie que Dieu n’en crut devoir octroyer à l’original.