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— Vingt Andréides[1] sortis des ateliers d’Edison, à figures dignes, à sourire discret et entendu, la brochette choisie à la boutonnière, sont d’attache à la Machine : en cas d’absence ou d’indisposition de leurs modèles, on les distribuerait dans les loges, avec des attitudes de mépris profond qui donneraient le ton aux spectateurs. Si, par extraordinaire, ces derniers essayaient de se rebeller et de vouloir entendre, les automates crieraient : « Au feu ! », ce qui enlèverait la situation dans un meurtrier tohu-bohu d’étouffement et de clameurs réelles. La « pièce » ne s’en relèverait pas.

Quant à la Critique, il n’y a pas à s’en préoccuper. Lorsque l’œuvre dramatique serait écrite par des gens recommandables, par des personnes sérieuses et influentes, par des notabilités conséquentes et de poids, la Critique, — à part quelques purs insociables et dont les voix, perdues dans le tumulte, ne feraient qu’en renforcer le vacarme, — se trouverait toute conquise : elle rivaliserait d’énergie avec l’Appareil-Bottom.

D’ailleurs, les Articles critiques, confectionnés à l’avance, sont aussi une dépendance de la Machine : la rédaction en est simplifiée par un triage de tous les vieux clichés, rhabillés et revernis à neuf, qui sont lancés par des employés-Bottom à l’instar du Moulin-à-prières des Chinois, nos précurseurs en toutes choses du Progrès[2].

  1. Automates électro-humains, donnant, grâce à l’ensemble des découvertes de la science moderne, l’illusion complète de l’Humanité.
  2. Ce moulin se compose d’une petite roue que le dévot fait