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Elle s’était accompagnée, ce soir-là, d’une forte marchande à la toilette, à qui, dès le premier coup de lorgnette du « monsieur », elle intima, tout bas, la plus rigoureuse tenue.

En sorte que, dès le second acte, Maryelle eût semblé, à des yeux même sagaces, une rentière veuve et indifférente, flanquée d’une parente éloignée.

Le « monsieur » n’était donc autre que cet adolescent de dix-sept ans à peine : de beaux yeux, un air crédule, l’innocence même. Un page. Or, l’aspect imposant et piquant à la fois de la brillante personne ayant ému, ce semble, outre mesure, notre jeune homme, il erra dans les couloirs (sans oser, bien entendu) ; et pour tout dire, à l’issue de la représentation, il suivit en voiture l’humble fiacre de ces dames.


En fine mouche, Maryelle se réfugia, ce soir-là, chez sa marchande à la toilette. Des ordres furent donnés pour « si l’on venait prendre des renseignements ». Bref, elle devint, en deux temps, l’honnête veuve, « de passage à Paris », du militaire en retraite, âgé, décoré, auquel une famille intéressée l’avait sacrifiée de bonne heure. Enfin, rien n’y manqua, pas même les deux ans de veuvage, avec le portrait du défunt, qu’on se procurerait facilement et d’occasion, s’il y avait lieu de s’en pourvoir. Il est de tradition que, même de nos jours, cette fastidieuse rengaine ne manque jamais son effet sur les imaginations jeunes encore. Maryelle s’en tint là,