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précises et qui, à l’aide de ces mêmes mots divins, reste indécise et tend à se projeter dans la Lumière pour s’y fondre et passer dans cet infini que nous portons en notre cœur, — cette seule réalité, enfin, je ne la connaîtrai jamais ! Non !… Cette musique ineffable, cachée dans la voix d’un amant, ce murmure aux inflexions inouïes, qui enveloppe et fait pâlir, je serais condamnée à ne pas l’entendre !… Ah ! celui qui écrivit sur la première page d’une symphonie sublime : « C’est ainsi que le Destin frappe à la porte ! » avait connu la voix des instruments avant de subir la même affliction que moi !

Il se souvenait, en écrivant ! Mais moi, comment me souvenir de la voix avec laquelle vous venez de me dire pour la première fois : « Je vous aime !… »

En écoutant ces paroles, le jeune homme était devenu sombre : ce qu’il éprouvait, c’était de la terreur.

— Oh ! s’écria-t-il. Mais vous entr’ouvrez dans mon cœur des gouffres de malheur et de colère ! J’ai le pied sur le seuil du paradis et il faut que je referme, sur moi-même, la porte de toutes les joies ! Êtes-vous la tentatrice suprême — enfin !… Il me semble que je vois luire, dans vos yeux, je ne sais quel orgueil de m’avoir désespéré.

— Va ! je suis celle qui ne t’oubliera pas ! répondit-elle. — Comment oublier les mots pressentis qu’on n’a pas entendus ?

— Madame, hélas ! vous tuez à plaisir toute la jeune espérance que j’ensevelis en vous !… Cependant, si tu es présente où je vivrai, l’avenir, nous le vain-