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« positif de la vie » avec un de ces sourires… Oh ! vous verrez, si vous vivez ! Vous verrez quels mystérieux océans de candeur, de suffisance et de basse frivolité cache, uniquement, ce délicieux sourire ! — L’abîme d’amour charmant, divin, obscur, véritablement étoilé, comme la Nuit, qu’éprouvent les êtres de votre nature, essayez de le traduire à l’une d’entre elles !… Si vos expressions filtrent jusqu’à son cerveau, elles s’y déformeront, comme une source pure qui traverse un marécage. De sorte qu’en réalité cette femme ne les aura pas entendues. « La Vie est impuissante à combler ces rêves, disent-elles, et vous lui demandez trop ! » Ah ! comme si la Vie n’était pas faite par les vivants !

— Mon Dieu ! murmura Félicien.

— Oui, poursuivit l’inconnue, une femme n’échappe pas à cette condition de la nature, la surdité mentale, à moins, peut-être, de payer sa rançon d’un prix inestimable, comme moi. Vous prêtez aux femmes un secret, parce qu’elles ne s’expriment que par des actes. Fières, orgueilleuses de ce secret, qu’elles ignorent elles-mêmes, elles aiment à laisser croire qu’on peut les deviner. Et tout homme, flatté de se croire le divinateur attendu, malverse de sa vie pour épouser un sphinx de pierre. Et nul d’entre eux ne peut s’élever d’avance, jusqu’à cette réflexion qu’un secret, si terrible qu’il soit, s’il n’est jamais exprimé, est identique au néant.

L’inconnue s’arrêta.

— Je suis amère, ce soir, continua-t-elle, — voici