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Érostrate, brûlant le temple d’Éphèse par amour de la gloire !… des Rostopschine, brûlant Moscou par patriotisme ! des Alexandre, brûlant Persépolis par galanterie pour sa Thaïs immortelle !… Moi, je brûle par devoir, n’ayant pas d’autre moyen d’existence ! — J’incendie parce que je me dois à moi-même !… Je m’acquitte ! Quel Homme je vais être ! Comme je vais vivre ! Oui, je vais savoir, enfin, ce qu’on éprouve quand on est bourrelé. — Quelles nuits, magnifiques d’horreur, je vais délicieusement passer !… Ah ! je respire ! je renais !… j’existe !… Quand je pense que j’ai été comédien !… Maintenant, comme je ne suis, aux yeux grossiers des humains, qu’un gibier d’échafaud, — fuyons avec la rapidité de l’éclair ! Allons nous enfermer dans notre phare, pour y jouir en paix de nos remords.

Le surlendemain au soir, Chaudval, arrivé à destination sans encombre, prenait possession de son vieux phare désolé, situé sur nos côtes septentrionales : flamme en désuétude sur une bâtisse en ruine, et qu’une compassion ministérielle avait ravivée pour lui.

À peine si le signal pouvait être d’une utilité quelconque : ce n’était qu’une superfétation, une sinécure, un logement avec un feu sur la tête et dont tout le monde pouvait se passer, sauf le seul Chaudval.

Donc le digne tragédien, y ayant transporté sa couche, des vivres et un grand miroir pour y étudier ses effets de physionomie, s’y enferma, sur-le-champ, à l’abri de tout soupçon humain.