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Il voyage donc, en liberté. Il est au mieux avec tous ces messieurs de la Justice-capitale. Sa première visite est pour eux, dans toutes les villes où il passe. Il leur a souvent offert des sommes très fortes pour le laisser opérer à leur place, — et je crois, entre nous (ajouta le docteur en clignant de l’œil), qu’en Europe, — il en a débauché quelques-uns.

» À part ces équipées, on peut dire que sa folie est inoffensive, puisqu’elle ne s’exerce que sur des personnes désignées par la Loi. — En dehors de son aliénation mentale, le baron de H*** a la renommée d’un homme de mœurs paisibles et, même, engageantes. De temps à autre, sa mansuétude ambiguë donne, peut-être, froid dans le dos, comme on dit, à ceux de ses intimes qui sont au courant de sa terrible turlutaine, mais c’est tout.

» Néanmoins, il parle souvent de l’Orient avec quelque regret et doit incessamment y retourner. La privation du diplôme de Tortionnaire-en-chef du globe l’a plongé dans une mélancolie noire. Figurez-vous les rêveries de Torquemada ou d’Arbuez, des ducs d’Albe ou d’York. Sa monomanie s’empire de jour en jour. Aussi, toutes les fois qu’il se présente une exécution, en est-il averti par des émissaires secrets — avant les gentilshommes de la hache eux-mêmes ! Il court, il vole, il dévore la distance, sa place est réservée au pied de la machine. Il y est, en ce moment où je vous parle : il ne dormirait pas tranquille s’il n’avait pas obtenu le dernier regard du condamné.

» Voilà, messieurs et mesdames, le gentleman avec