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tion : ils ont leur rôle ; ils fixent le sens de l’Ecriture, ils l’adaptent aux besoins du temps, ils la faussent souvent et se substituent en sa place. L’alliage est donc possible. Il est même la règle, car le positivisme et le plein mysticisme sont des états d’exception. Donc, disait Érasme, puisque nous le pouvons, restons bons chrétiens et profitons de la sagesse antique. Les payens n’ont pas connu le grand mystère de la destinée humaine : ils n’ont pas su le bonheur et la science de nos premiers parents, la chute originelle et les ténèbres qui s’ensuivirent ; ils n’ont pas connu le Christ qui nous rachète, ni entendu la parole divine qui seule dissipe cette ignorance du bien et du vrai ; mais une faible étincelle de vérité leur a été laissée par la miséricorde divine pour se conduire dans ces abîmes, c’est la conscience. Seuls parmi tant de peuples anciens, les Grecs et les Latins ont su couver jalousement cette pâle lumière, en tirer un service si surprenant qu’ils ont constitué un art merveilleux de vivre, la philosophie morale. Les recettes de la philosophie morale ne sont que vanité auprès des grandes vérités que révèle l’Écriture ; elles ont pourtant leur application dans la vie pratique ; il ne faut pas les laisser perdre. Là où elles sont en contradiction avec la révélation, nous savons qu’elles s’égarent, nous les corrigerons aisément ; lorsqu’elles lui sont conformes, elles entrent dans des détails précis que l’Écriture n’a pas abordés et dont il faut profiter. L’Église, qui nous enseigne notre destinée, nous dira les devoirs de l’homme et ses fins ; quand la sagesse antique connaîtra quelques moyens d’y parvenir, elle nous les donnera, elle nous dira ses procédés pour atteindre la vertu par exemple. Toujours elle restera l’humble servante soumise. Et puis, l’Église ne défend pas la prudence pourvu que l’honnêteté n’en souffre pas ; elle ne s’en occupe pas, voilà tout. Or, la sagesse antique enseigne excellemment cette prudence ; là, encore, nous pouvons prendre ses leçons. En un mot, on peut demander à la philosophie ancienne un complément pour des questions que néglige la sagesse sacrée, et plus encore des moyens pour réaliser la sagesse sacrée ; c’est par conséquent surtout sa psychologie qu’on attend d’elle. La Sorbonne sentit-elle que la raison ne se contenterait pas de ce rôle subalterne et que, comme il advint, plus audacieuse chaque jour elle repousserait peu à peu l’autorité ? qu’on ne lui fait pas sa