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LA VIE AU JAPON.

inutile chez un peuple qui passe sa vie accroupi, non pas sur des divans ou des coussins comme les Turcs, mais sur le sol même.

Les braseros où brûle un feu perpétuel, placés dans des maisons de bois et de papier, c’est l’étincelle près du baril de poudre ; aussi ne faut-il pas s’étonner si les villes du Japon sont souvent en partie détruites par d’effroyables incendies. Il n’y a pour ainsi dire pas de voyageur européen ayant passé quelques semaines dans l’empire des mikados, qui n’ait été témoin d’une de ces scènes de dévastation. Arrivé depuis deux ou trois jours à Yokohama, en avril 1867, M. le comte de Beauvoir est réveillé par un incendie qui détruit un quartier ; on lui raconte qu’au mois de novembre précédent la ville entière avait brûlé. M. Bousquet a vu en quatre ans plus d’un tiers d’Yédo anéanti par les flammes. Le plus effrayant de ces sinistres est celui du 3 avril 1872, qui se déploya en éventail sur une étendue de cinq kilomètres carrés et détruisit cinq mille maisons. Trente personnes avaient péri dans les flammes, cent mille se trouvaient sans abri.

Quelque affreux que soient de tels désastres, les Japonais les supportent avec une étrange facilité. Au lieu de crier et de se lamenter, comme le font en pareil cas les habitants de nos villes d’Europe, ou de montrer la morne résignation des Turcs, ils rient, ils plaisantent en présence de l’horrible fléau, ils n’oublient même pas les règles compliquées de leur étiquette et se saluent jusqu’à terre, tout en mettant beaucoup d’activité à empaqueter et à emporter de leurs maisons, si elles sont menacées, leurs meubles, leurs ustensiles, et tout ce qui constitue leur petite fortune. Les pompiers, de leur côté, font de leur mieux. Coiffés de hauts casques de fer ornés de cornes, couverts de masques de bronze, de cuissards, de brassards, de cuirasses, comme des chevaliers du moyen âge, ils accourent au grand trot sur le terrain en poussant, pour se faire faire place, des cris épouvantables. Une partie d’entre