Page:Villetard - Le Japon, 1879.djvu/80

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
LE JAPON.

tion du shogounat étaient peut-être des ambitieux, mais ce n’étaient pas des fanatiques ; ils comprirent tout de suite qu’ils ne pouvaient songer à se lancer dans une aventure où l’immense empire de Chine avait échoué ; l’on peut croire qu’ils n’eurent pas un seul instant la pensée de rompre en visière à tout l’univers civilisé, et d’attirer sur leur pays, déjà éprouvé par deux ou trois ans de guerre civile, le fléau d’une guerre étrangère dont l’issue n’était pas douteuse. Ce qui peut à bon droit nous surprendre davantage, c’est qu’au lieu de se contenter de respecter, une fois au pouvoir, ces traités naguère si violemment dénoncés par eux à l’indignation publique lorsqu’ils faisaient au shogoun une opposition révolutionnaire, ils allèrent beaucoup plus loin que n’avait osé le faire le gouvernement déchu dans la voie des réformes libérales et se mirent à copier — ce qu’il n’avait jamais fait — les institutions, les mœurs et même les modes de l’Europe.

Jusqu’en 1868, le mikado était le type le plus accompli de ces princes de l’Orient qui croient imposer le respect à leurs sujets en se rendant invisibles à tous et en se cachant au fond de quelque palais. Ceux de ses sujets, en très petit nombre, qu’il daignait admettre à venir lui présenter leurs hommages étaient séparés de lui par un rideau disposé de façon à leur cacher son auguste visage, tandis qu’il pouvait les voir se prosterner au pied de l’estrade sur laquelle il était, accroupi sur ses talons, immobile, les mains jointes, dans la pose classique des statues de Bouddha. Quand il sortait, c’était toujours dans une litière hermétiquement fermée, tous ceux qui rencontraient son cortège devaient, tandis qu’il passait, se prosterner à terre, la face collée sur le sol.

Dès qu’ils eurent triomphé, les chefs du mouvement, au lieu de rendre le souverain encore plus inabordable, comprirent la nécessité de détruire peu à peu une étiquette qu’on ne pouvait plus maintenir ; mais il est plus facile d’exciter le fa-