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QUELQUES MOTS SUR L’HISTOIRE DU JAPON.


Or, soldes et traitements restaient les mêmes, tandis que tout ce qu’il leur fallait acheter renchérissait. Les daïmios, il est vrai, avaient des fortunes princières ou royales, et c’était par millions de francs que se chiffraient les revenus des plus puissants d’entre eux. Mais leurs charges étaient énormes aussi, car ces souverains au petit pied avaient à entretenir et à solder leurs petites armées, leurs petites flottes et tous les fonctionnaires nécessaires à l’administration de leurs provinces. Tous donc, daïmios et samouraïs, voyaient leurs dépenses subir une augmentation notable, tandis que leurs revenus restaient à peu près les mêmes. Tous étaient appauvris d’autant, et pour beaucoup d’entre eux cet appauvrissement était la ruine.

D’autre part, le pouvoir absolu de la noblesse japonais sur les artisans et les marchands se trouvait évidemment menacé, depuis qu’on voyait dans le pays des marchands étrangers, appuyés par leurs consuls, forts eux-mêmes de l’appui que pouvaient leur donner au besoin les frégates cuirassées de leurs gouvernements respectifs.

Un jour, l’un des plus grands personnages du pays, oncle et tuteur du prince de Satzouma, passant sur une grande route avec une nombreuse escorte, rencontre des étrangers à cheval qui ne descendent pas de leurs montures pour se prosterner devant lui. Parmi eux se trouve une femme, également à cheval : ces étrangers causent entre eux, rient et galopent sans s’inquiéter du grand seigneur dont ils croisent le pompeux cortège. Rien ne serait plus simple au bois de Boulogne ; mais à deux kilomètres d’Yédo, c’était une autre affaire. Le prince apprend que ces étrangers sont des marchands, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à la classe la plus méprisée au Japon, et ce sont de telles gens qui lui font un tel outrage ! Sans hésiter, sans soupçonner même les conséquences possibles de sa résolution, il ordonne à ses officiers de tuer les insolents, et ses ordres sont immédiatement exécutés.