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LE JAPON.

entraîner à donner au shogoun, dans le texte des traités, le titre impropre de taïkoun, mot chinois qui désigne le chef suprême, et la diplomatie japonaise s’était bien gardée de les désabuser. Toujours imbus de cette idée fausse que le mikado était une sorte de pape qui n’avait à traiter que les questions de théologie bouddhiste, ils n’avaient pas songé à exiger que les traités fussent soumis à sa ratification, et s’étaient contentés de la signature du prétendu taïkoun. Le parti féodal ne manquait donc pas de bonnes raisons pour soutenir que les « barbares » entraient sans droit dans l’empire, et que les actes qui leur en ouvraient la porte étaient absolument nuls, faute d’avoir été soumis au contrôle du seul véritable chef de l’État.

On se tromperait d’ailleurs étrangement si l’on supposait que le mécontentement de la féodalité n’avait pas d’autres causes qu’une question de droit constitutionnel et une haine non raisonnée contre les « barbares ». En réalité, le Japon ouvert au commerce et à la diplomatie des étrangers, c’était à la fois la ruine financière de toute la noblesse, depuis les daïmios jusqu’aux simples hattamotos, et la fin de leur prestige et de leur puissance.

Les commerçants européens et américains, en achetant très cher la soie, le thé, le riz, les porcelaines, les bronzes et tous les produits de l’agriculture et de l’industrie nationale, qui jusque-là se consommaient exclusivement dans le pays, en faisaient monter le prix dans une énorme proportion. Or, parmi les nobles, les uns, les plus grands, les propriétaires féodaux, étaient obligés de vendre directement et exclusivement tous les produits de leurs terres au shogoun, qui en fixait le prix lui-même et qui persistait à payer aussi peu qu’autrefois ce qu’il revendait maintenant beaucoup plus cher ; les autres, les samouraïs, les yakounines, les hattamotos, n’avaient pour vivre que leur solde dans les troupes du prince ou dans celles des daïmios, ou les traitements attachés à leurs fonctions.