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LE JAPON.

mais on l’achetait assez cher. M. de Hubner et M. de Beauvoir, qui n’ont fait que passer quelques jours dans le Niphon, ne nous montrent guère que les côtés brillants du régime auquel la chute des shogouns a mis fin. M. Bousquet, qui y a résidé plusieurs années, rapproche l’ordre de choses établi par Iyeyas de ce qui se passait à Venise au temps du conseil des Dix. Il nous parle d’un effroyable système d’espionnage établi par les shogouns, toujours inquiets pour leur pouvoir, et sur ce point ses assertions sont confirmées par les récits de tous les voyageurs ; seulement, il va beaucoup plus loin que tous les autres, car il affirme que les rapports des délateurs avaient souvent pour conséquence des proscriptions et des exécutions secrètes, et il nous montre « toute une famille, toute une génération punie pour le crime d’un seul de leurs membres…, les extorsions, les brutalités des samouraïs habituellement impunies ».

Nous avons vu par quelle suite d’événements s’était établie cette étrange forme de gouvernement où deux monarques également héréditaires régnaient simultanément : l’un ayant la réalité du pouvoir avec un titre inférieur ; l’autre, avec la suprématie officielle et la toute-puissance nominale, ne conservant que l’ombre et l’apparence de la souveraineté.

Aujourd’hui que nous connaissons les faits qui ont amené peu à peu un ordre de choses si étrange, nous en arrivons à comprendre le rôle de chacun des deux princes et sa position vraie. Mais pendant longtemps ces faits furent à peu près inconnus en Europe ; aussi en était-on arrivé à admettre comme une vérité hors de doute que le mikado était le souverain spirituel de son pays, tandis que son rival d’Yédo était le souverain temporel. On voyait en un mot, dans le second l’empereur, dans le premier le pape du Japon. Cette erreur entraîna, comme nous le verrons tout à l’heure, des conséquences assez graves dans nos relations diplomatiques avec la cour d’Yédo.