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LES HABITANTS.

en plus grand nombre ; ils y sont comme chez eux, et l’on peut craindre que sans conquête militaire, par le seul effet, de leur nombre sans cesse croissant, ils n’y soient bientôt tout à fait chez eux.

Là, comme dans tous les pays où s’étend depuis une vingtaine d’années leur invasion pacifique, leurs rares qualités, leur incroyable sobriété, leur intelligence commerciale, leur étonnante aptitude à tous les métiers, leur assurent de rapides succès. Ils se glissent partout ; partout on les trouve gênants, on redoute leur rivalité ; mais, à Yokohama comme à San-Francisco, tout en les maudissant on a besoin d’eux, parce qu’ils se contentent de salaires que les employés, les domestiques et les ouvriers de race blanche trouveraient dérisoires, et parce que leur intelligence déliée leur permet de rendre des services qu’on demanderait sans doute inutilement à des hommes d’autres races.

Au Japon, leur rôle principal est celui de compradores (acheteurs), c’est-à-dire en réalité de représentants des Européens dans toutes leurs négociations avec les indigènes. « Très habiles, dit M. Guimet, dans les questions de banque, d’escompte, de change, de monnaies, de cours commerciaux, ils se sont faits utiles, commodes, nécessaires, indispensables. Aucune maison européenne n’a pu se passer d’un Chinois ; les Japonais ont forcément utilisé ce truchement[1]. Et comme les Chinois ont éminemment le don de l’association, ils ont formé la corporation des compradores, qui a grandi, s’est imposée, et tend à supplanter, au point de vue commercial, et les Japonais et les Européens.

« Un comprador est un voleur qu’on institue caissier. Ce voleur est patenté, garanti par ses confrères ; il prend sa commission sur tous les payements ; il a son tant pour cent sur ce qui entre et ce qui sort, sur les affaires manquées comme sur celles qui réussissent, sur les gages des employés comme sur

  1. Interprète