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LE JAPON.

nais ce que le pain est pour nous. Chaque convive puise dans cette écuelle de quoi remplir une grande tasse de porcelaine et il mange cette portion de riz en portant la tasse à ses lèvres ; ses bâtonnets lui servent à prendre sur d’autres plateaux de laque des morceaux de poisson, de crabe ou de volaille qu’il mange avec son riz.

Ces mets sont assaisonnés de sel, de piment et d’une sauce très violente qu’on tire d’une sorte de fève noire dûment fermentée. Des œufs mollets ou durs, des légumes bouillis, une salade de jeunes pousses de bambou ou d’oignons de lotus complètent le repas. Le thé et le saki, servis chauds et sans sucre, servent de boisson. Les théières qui les contiennent reposent sur un brasero en forme de cassette, un peu plus grand qu’un autre meuble correspondant, le tabacco-boon, où l’on dispose le charbon allumé, les pipes, le tabac et tous les outils nécessaires aux fumeurs. Les Européens ne peuvent voir des Japonais se servant de tous ces petits plats dans leurs petites soucoupes et buvant ces liquides dans leurs petites tasses, sans s’imaginer qu’ils voient de grands enfants jouer à la dînette.

Ajoutons que parmi les poissons, qui forment avec le riz la base de la nourriture des habitants du Niphon, il y en a beaucoup qui se servent et se mangent tout crus. Cela nous semble horrible ; nous devons dire pourtant que les Européens se font vite à cet usage et se régalent souvent autant que les indigènes de ce mets dont la seule idée nous révolte. Le fameux tay, le poisson le plus cher aux gourmets d’Yédo, se sert non seulement cru, mais vivant, et de même que jadis un homme du monde en France était fier de savoir découper habilement une volaille, de même aujourd’hui, au Japon, le suprême talent à table est d’achever habilement le malheureux tay.

Les Européens qui résident au Japon peuvent trouver du plaisir à prendre part de loin en loin à un de ces repas excentriques que nous venons de décrire ; mais ils veulent vivre