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LE JAPON.

le fond même du culte rendu par la créature à son créateur.

Dans certains temples, les fidèles qui vont demander à tel dieu telle grâce spéciale, écrivent leur prière sur un bout de papier qu’ils mâchent de façon à le réduire en pâte. Ils en forment alors une boulette qu’ils lancent sur l’idole invoquée. Si la boulette y reste collée, c’est la preuve que la prière est accueillie favorablement et que la faveur sollicitée sera accordée. Il est difficile d’inventer une façon plus expéditive et moins respectueuse de faire parvenir une supplique aux puissances célestes !

Les Japonais vont encore aujourd’hui, pendant la belle saison, visiter en foule un certain nombre de temples célèbres ; mais aucun voyageur n’a remarqué chez ces pèlerins rien de semblable au sombre fanatisme dont sont animés les croyants qui visitent la Mecque : les pèlerinages sont des parties de plaisir plutôt que des actes de dévotion.

Un chef arabe disait un jour à un officier français : « On ferait bouillir pendant cent ans dans la même marmite un musulman et un chrétien que leurs bouillons ne se mélangeraient pas. »

L’un des chefs du mouvement de 1868 disait au contraire à un voyageur européen : « Nous avons adopté vos vêtements, vos armes, vos bateaux à vapeur ; nous prendrons peut-être un jour votre religion si nous y trouvons notre avantage. »

Il est impossible d’aller plus loin dans le fanatisme que les sectateurs de Mahomet, et dans l’indifférence religieuse que les Japonais de nos jours.

Il faut reconnaître que leurs ancêtres n’étaient pas beaucoup plus zélés qu’eux pour le culte des Kamis ou pour celui de Bouddha. Chez les hommes d’État du Japon les considérations politiques l’ont toujours emporté sur les motifs tirés de leur religion.

Au vie siècle, les mikados ont admis le bouddhisme sans difficulté dès qu’ils ont vu qu’ils n’avaient rien à redouter de