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LA RELIGION ET L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

pon; s’il n’y régna jamais sans partage, il finit du moins par devenir la religion dominante du pays. Dans les derniers siècles, ce furent les shogouns qui devinrent ses protecteurs, si bien que les auteurs de la révolution de 1868, sans le proscrire formellement, le traitèrent du moins fort mal ; ils annoncèrent qu’ils allaient rendre à l’ancienne religion nationale proclamée par eux, assez arbitrairement à ce qu’il semble, la religion des mikados, ceux des temples shintoïstes qu’il avait usurpés. Des vases très précieux et très curieux, des statues d’un grand intérêt pour l’histoire de l’art et de la religion furent brisés ou vendus à vil prix. On alla même plus loin, et des temples bâtis tout exprès pour le culte de Bouddha furent saccagés ou détruits. Beaucoup de bonzeries[1] bouddhistes furent fermées, leurs biens confisqués, et les bonzes qui avaient fait vœu de célibat furent autorisés ou engagés à se marier. Cependant le bouddhisme n’a pas été traité de nos jours comme l’avait été jadis le christianisme ; beaucoup de ses temples sont restés debout et les cérémonies du culte s’y pratiquent encore librement.

Ces mesures ne semblent pas avoir causé beaucoup d’émotion. Le Japon est peut-être le pays du monde où la masse du peuple tient le moins à sa religion. Les Japonais des hautes classes affichent le plus profond mépris pour les croyances de leurs ancêtres, et quand les voyageurs européens les interrogent sur les dogmes enseignés par leurs prêtres, ils répondent sans gêne que « ce sont des bêtises ». Dans les basses classes on n’en est pas encore là, mais les pratiques religieuses sont devenues de simples formalités dont on s’acquitte par habitude, sans y attacher beaucoup d’importance. Un simple détail pris au hasard montrera suffisamment comment des pratiques matérielles ont remplacé dans ce pays les élans de l’âme, qui ailleurs constituent

  1. Bonzerie, sorte de couvent bouddhiste dont les bonzes sont les moines.