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LE JAPON.

Quand ils passèrent devant sa demeure, il les fit entrer et leur servit du riz et du saki. Après avoir ainsi restauré leurs forces, ils reformèrent leur cortège et se rendirent au tombeau de leur maître, auquel ils offrirent la tête de son ennemi, après l’avoir lavée dans une fontaine voisine.

Une fois ce devoir accompli, ils se livrèrent aux magistrats, qui les condamnèrent à s’ouvrir le ventre. Y a-t-il besoin d’ajouter que tous moururent bravement ? Leurs corps furent enterrés avec les plus grands honneurs auprès du tombeau du maître qu’ils avaient vengé et leurs sépultures, soigneusement entretenues, sont encore aujourd’hui l’objet d’une sorte de pèlerinage. Les visiteurs les ornent de petites branches d’arbres et y brûlent de l’encens. Les armes et les vêtements des quarante-sept fidèles serviteurs de Takoumi-no-kami sont conservés comme des reliques dans le temple voisin.

L’un des premiers qui vinrent honorer le sépulcre des héros fut l’homme du clan de Satsouma qui, dupe de l’ivresse simulée par Kouranosouki, lui avait adressé une sanglante injure. Il déclara qu’il venait faire à son honneur une éclatante réparation, et il s’ouvrit le ventre au pied de son tombeau. Il fut enterré auprès des vaillants chevaliers dont il avait eu le tort de ne pas deviner l’héroïsme.

Cette histoire si curieuse montre mieux que de longue dissertations toutes les circonstances où un membre de l’aristocratie japonaise peut être amené à s’ouvrir le ventre.

Le hari-kiri est tantôt l’expiation volontaire d’un tort grave, tantôt le mode de châtiment imposé à un noble qu’on ne veut pas souiller en le faisant périr de la main du bourreau. Souvent enfin c’est la forme la plus terrible du duel, puisque l’offensé, en commençant par se donner la mort, impose à ses amis et à ses proches l’obligation de le venger sous peine de déshonneur.