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CARACTÈRES, MŒURS ET USAGES.

à l’ivresse au lieu de venger son maître, l’injuria et lui cracha à la face. Kotsouké, rassuré par tout ce qu’il apprenait sur la conduite de ses ennemis, se relâcha peu à peu de sa vigilance, si bien qu’enfin Kouranosouki jugea que le moment d’agir était venu. Il fit prévenir ses quarante-six amis, et par une nuit sombre tous arrivèrent chacun de son côté devant la porte du yashki (palais) de Kotsouké, la forcèrent sans trop de peine et tuèrent ses samouraïs. Ils finirent par le découvrir lui-même dans une cachette où il s’était réfugié. Alors le chef de la conspiration se mit à genoux devant lui avec les démonstrations de respect dues à son rang, il lui parla ainsi :

« Seigneur, nous sommes les hommes de Takoumi-no-kami. L’an dernier Votre Grâce a eu une querelle avec lui. Il a dû mourir et sa famille a été ruinée. En bons et fidèles vassaux, nous sommes venus cette nuit pour le venger. Vous devez reconnaître la justice de notre cause. Et maintenant, seigneur, nous vous conjurons de faire hari-kiri. Je vous servirai de second et, après avoir humblement recueilli la tête de Votre Grâce, j’irai la déposer en offrande sur le tombeau du seigneur Takoumi[1]. »

Si bien tournée et si polie que fût cette harangue, elle n’eut pas le pouvoir de décider Kotsouké à s’ouvrir le ventre de bonne grâce ; mais il n’y gagna rien et sa tête, coupée par Kouranosouki, fut soigneusement déposée dans une corbeille. Le jour commençait à paraître. La foule, attirée par le bruit de la lutte, avait entouré le yashki du daïmio égorgé. Elle salua de ses acclamations les quarante-sept ronines, lorsque, tout couverts de sang, les vêtements en lambeaux, ils sortirent et se formèrent en cortège. L’un des dix-huit grands daïmios, ami de celui dont ils venaient de venger la mort, avait à la hâte rassemblé ses hommes de guerre pour aller les protéger.

  1. Nous empruntons textuellement ce discours à M. Hubner, qui l’emprunte lui-même aux sources les plus authentiques.