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LE JAPON.

Pour qu’on puisse discuter, distinguer et ergoter en telles matières, il faut que la mode de s’ouvrir le ventre tende à tomber en désuétude : une si habile casuistique aurait eu sans doute peu de succès auprès des quarante-sept ronines, plus populaires au Japon que ne l’est chez nous Geneviève de Brabant.

Notez que cette héroïne, illustre dans les baraques de la fête de Saint-Cloud, a peut-être le tort de n’avoir jamais existé, tandis que les quarante-sept ronines ont vécu au xviie siècle, et qu’on a, sur les faits dont ils ont été les héros, leurs propres récits, écrits par eux quelques heures avant leur mort. Il faut rapporter ici leur histoire : ce sera la meilleure façon de faire connaître les mœurs féodales et l’esprit chevaleresque des Japonais d’avant 1868.

Un certain daïmio, nommé Takoumi-no-kami, ayant été gravement offensé par Kotsouké, l’un des grands personnages de la cour du shogoun, avait essayé de se venger ; mais, au moment où il tirait le sabre contre son ennemi, il fut arrêté et les juges le condamnèrent à s’ouvrir le ventre. Ses terres furent confisquées, et les samouraïs attachés à son service devinrent des ronines. Quelques-uns se résignèrent à leur déchéance et entrèrent dans la classe des marchands, classe alors dédaignée, comme nous l’avons dit, tandis que d’autres cherchèrent du service auprès de quelque daïmio ; mais Kouranosouki, le principal conseiller de Takoumi, et quarante-six autres chevaliers se promirent de venger leur maître. C’était une entreprise difficile, car Kotsouké se tenait sur ses gardes. Pour endormir sa vigilance, les conspirateurs se séparèrent et affectèrent de ne plus songer qu’à gagner leur vie dans l’exercice de quelque humble métier. Le chef du complot fit semblant de s’abandonner au désespoir et de se laisser aller à tous les vices. Un jour qu’il semblait dormir ivre-mort au milieu d’une rue, un serviteur du prince de Satsouma, plein de mépris pour cet homme qui s’adonnait