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et en disant que, pour donner des conseils si propres à pousser le pays à sa perte, il fallait être un mauvais patriote.

Hori se leva, sombre et silencieux, et sortit sans demander la permission de se retirer. Rentré dans son palais, il fit appeler ses amis, revêtit ses habits de cérémonie, dicta ses dernières volontés, et s’ouvrit le ventre. C’était le 10 janvier ; quelques jours plus tard, le ministre Ando, attaqué par cinq adversaires contre lesquels il eut heureusement le temps de mettre l’épée à la main, n’échappa que par miracle à ce guet-apens ; le 19 janvier, M. Heusken, moins heureux qu’Ando, tombait sous le fer d’assassins qui restèrent inconnus.

Il y a quelques années à peine, un samouraï qui travaillait dans je ne sais quelle administration publique, où il occupait un poste élevé, était dans un bureau, couché à terre pour écrire, à la mode japonaise, son sabre posé près de lui. Un attaché de la légation d’Angleterre entre dans le bureau et met par mégarde le pied sur l’épée de ce haut fonctionnaire. Celui-ci, se jugeant déshonoré par cette insulte faite à son arme, se retire chez lui et convoque ses amis. Par bonheur, l’un d’entre eux, qui était, comme on va voir, un casuiste[1] habile, parvint à lui démontrer que, puisque, au lieu d’accrocher son sabre au râtelier préparé tout exprès pour cet usage, il l’avait par négligence posé sur le sol, l’Anglais était excusable, qu’il n’y avait pas lieu de lui supposer l’intention d’insulter le propriétaire de l’épée ainsi abandonnée, et que celui-ci ne pouvait raisonnablement se tenir pour offensé. Ce ne fut pas seulement le samouraï qui fut sauvé par cette intelligente et prudente consultation, mais aussi l’Anglais, dont la mort aurait, suivant toute probabilité, suivi de près le hari-kiri du samouraï trop chatouilleux sur le point d’honneur.

  1. On appelle casuistes des théologiens qui s’appliquent à résoudre les cas de conscience difficiles.