Page:Villetard - Le Japon, 1879.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
LE JAPON.

cérémonie ; là, entouré de ses fils et de toutes les personnes pour lesquelles il avait le plus d’affection ; il s’agenouillait sur une natte placée sur une estrade peu élevée et s’ouvrait le ventre avec un petit poignard. Un second, placé auprès de lui pour le soutenir et l’assister — et ce second, choisi par lui, était toujours l’un de ses meilleurs amis — lui tranchait, aussitôt la tête d’un coup de sabre pour lui épargner une agonie cruelle, et surtout pour l’empêcher de donner pendant ses derniers instants quelque signe de faiblesse, de laisser voir quelque regret de la vie.

S’ouvrir le ventre et se faire trancher la tête par un de ses intimes, voilà, pensera-t-on sans doute, une singulière façon de venger son honneur : mais il faut savoir que c’est aussi un moyen presque infaillible d’assurer sa vengeance, de sorte qu’il ne vaut pas beaucoup mieux, au Japon, être l’offenseur que l’offensé. L’homme qui fait hari-kiri laisse aux témoins de sa mort le soin de le venger, et c’est pour eux un devoir auquel ils manquent rarement, si bien que cette fameuse manie de s’ouvrir le ventre, dont on a tant plaisanté en France, est en réalité un suicide destiné à provoquer une vendetta.

Citons un exemple entre mille.

En janvier 1860 le ministre des affaires étrangères du taïkoun, nommé Ando, assez bienveillant pour les étrangers, avait eu une scène des plus vives avec son subordonné direct, le gouverneur des affaires étrangères, nommé Hori, ennemi fanatique des Européens. Devant de nombreux témoins il lui avait reproché certains actes de son administration et les preuves qu’il donnait sans cesse de son hostilité contre les hommes de l’Occident. Hori avait répliqué qu’on aurait dû exterminer tous les étrangers quand ils étaient encore peu nombreux et il avait surtout déclaré qu’il fallait se débarrasser de M. Heusken, secrétaire de la légation des États-Unis, contre lequel il nourrissait une haine toute particulière. Ando s’était alors levé en blâmant énergiquement ce langage