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CARACTÈRES, MŒURS ET USAGES.

nulle part des gens du peuple n’ont levé le bras contre un todjin. La masse de la nation est si paisible, si peu accessible aux passions haineuses, aux accès de rage ou d’effarement, que les guerres civiles elles-mêmes, de nos jours du moins, y sont peu sanglantes.

On a vu sans doute dans ces dernières années plusieurs grands personnages tomber sous le fer des assassins ; mais les masses sont restées étrangères aux passions qui ont amené ces crimes, et ont laissé sans s’émouvoir les partisans du mikado et ceux du shogoun se disputer le pouvoir. On n’a vu pendant la dernière révolution du Japon aucun de ces terribles soulèvements populaires, aucun de ces massacres en masse qui ont souillé la plupart des révolutions accomplies dans les grands États de l’Europe.

Les seules émotions populaires dont quelques voyageurs aient été témoins étaient des querelles de quartier à quartier : les deux partis poussaient quelques cris ; quand ils en venaient aux mains, la bataille se réduisait à l’échange de quelques coups de bambou, et tout rentrait dans l’ordre sans qu’on eût à constater ni une mort ni une seule blessure grave.

Les Japonais de toutes les professions surprennent sans cesse les voyageurs européens par leur calme et leur douceur. À Yedo, M. Humbert remarquait avec étonnement la façon dont les officiers, tenant à la main une baguette de fusil, instruisaient leurs soldats ; à leurs gestes, à leurs inflexions de voix il était tenté de les prendre pour des maîtres de danse réglant avec un archet les pas de leurs élèves.

Le Chinois est né pour faire le commerce et la banque. Les Japonais, au contraire, ont peu d’aptitudes commerciales ; mais ils ont les plus grandes et les plus heureuses dispositions naturelles pour les arts et l’industrie. Ils font preuve d’un gout merveilleux dans la fabrication de leurs bronzes, de leurs laques, de leurs porcelaines. Ils apprennent aussi très vite à appliquer les inventions européennes ; en très peu de temps