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LE JAPON.

Un trait dominant du caractère japonais, c’est la politesse qui règne dans toutes les classes de la nation. Dans les rues de nos villes, si quelque petit incident soulève une querelle entre des ouvriers, des cochers, des portefaix, ils s’adressent pendant longtemps les plus violentes injures et finissent, si on ne se hâte de les séparer, par en venir aux coups. Aucun voyageur n’a jamais assisté, au Japon, à de pareilles scènes ; tous remarquent au contraire la singulière courtoisie dont les gens du peuple font preuve en semblable circonstance. Bateliers, porteurs de kango et de norimon, traîneurs de djinrishka, tous, en cas d’embarras sur le fleuve ou dans la rue, au lieu de s’injurier, s’aident mutuellement à se tirer d’affaire, et n’échangent avec ces bons services mutuels que des compliments et des révérences.

Ce qui explique en partie cette urbanité, c’est que l’ivrognerie n’est pas un vice fréquent au Japon. Il est vrai qu’on n’y connaît pas le vin ; mais on y fait une grande consommation de saki (eau-de-vie de riz) ; seulement, grâce à cette modération qui fait le fond du caractère national, on boit assez pour se mettre de bonne humeur, mais pas assez pour s’enivrer. L’ivresse semble le triste privilège de la classe des samouraïs. Tous les voyageurs ont été témoins de querelles plus ou moins violentes entre des hommes à deux sabres qui s’étalent livrés à des libations trop copieuses dans des maisons de thé ; il y a quelques années, il était dangereux pour un Européen de se trouver sur le passage d’un samouraï qui venait de se monter la tête en vidant quelques coupes de saki ; les gens du peuple au contraire sont généralement sobres. Il serait à souhaiter que les Français de l’Occident ressemblassent tous sur ce point aux Français de l’extrême Orient.

Au milieu de ce peuple d’un caractère aimable et doux, les samouraïs se sont seuls montrés violents et cruels. Tous les crimes contre les Européens commis au Japon depuis une vingtaine d’années l’ont été par des hommes à deux sabres ;