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CARACTÈRES, MŒURS ET USAGES.

Le formidable système d’espionnage établi par les shogouns a rendu leurs sujets timides et prudents sans les rendre lâches et serviles. C’est que leurs sujets avaient de l’esprit et qu’ils ont su se plier au lieu de se laisser briser.

Les relations avec eux sont agréables et faciles. Ce qui a le plus frappé les voyageurs quand le Japon a commencé à entr’ouvrir ses portes, c’est que ce peuple, qu’on disait animé d’une haine fanatique contre les todjin (les hommes de l’Occident, c’est-à-dire les étrangers de race européenne), leur était au contraire presque tout entier très sympathique et s’empressait autour d’eux avec une curiosité indiscrète parfois, mais toujours très bienveillante. La haine des todjin n’existait en réalité que chez les daïmios et les samouraïs, qui comprenaient que leur pouvoir politique ne pourrait se maintenir le jour où leur pays aurait avec l’Europe des relations constantes et intimes. Pendant quelques années les attentais contre les Européens ont été nombreux : les assassins étaient toujours des samouraïs. Les paysans, les marchands et les ouvriers faisaient au contraire bon visage et bon accueil à ces nouveaux venus. Le fanatisme politique n’existait donc que dans une classe peu nombreuse ; quant au fanatisme religieux, il n’existait nulle part, et il n’y a peut-être pas de peuple au monde qui soit aussi peu zélé pour sa religion nationale que les habitants du Niphon.

Les Japonais des hautes classes ont, comme les gens bien élevés de tous les pays, l’habitude de se dominer et de laisser paraître le moins possible les sentiments qu’ils éprouvent ; mais le peuple est très gai et aime beaucoup à rire. Quand quelque petit évènement amène un rassemblement, si un mot, dit par quelqu’un des assistants, provoque la gaieté de ses voisins qui l’ont entendu, tout le reste du groupe se met à rire de confiance et les braves gens se tiennent les côtes sans savoir le moins du monde ce qu’on a pu dire ou faire de si risible.