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LE JAPON.

écrivons. Ce qui est certain, c’est que le régime épouvantable des prisons que nous venons de décrire est absolument condamné en principe, et déjà en partie réformé en fait. On a construit récemment à Yédo une prison cellulaire sur le plan de Mazas, et les affreuses cages de bois où l’on enterrait des accusés parmi lesquels devaient souvent se trouver des innocents, n’existent plus dans la capitale du Japon, Combien faudra-t-il de temps pour que la même réforme s’accomplisse dans les provinces ? Pourra-t-on dépenser beaucoup d’argent pour bâtir des prisons modèles dans les villes où les Européens vont rarement ? C’est au moins douteux, et il est à craindre que les horreurs que nous venons de raconter en les présentant comme appartenant plus au passé qu’au présent ne se prolongent encore pendant de longues années dans la plus grande partie de l’empire des mikados.

Nous venons de montrer les juges japonais sévères, implacables, appliquant avec rigueur les lois les plus terribles. Mais le diable n’est pas, dit-on, si noir qu’on se le figure, et plus d’un trait recueilli par les touristes prouve que ces magistrats savent eux aussi s’humaniser au besoin et trouver des détours spirituels pour se dispenser d’être barbares tout en paraissant respecter des lois monstrueuses. Un de ces traits nous suffira comme exemple.

Nous avons dit que certains animaux considérés comme sacrés étaient protégés par des édits qui interdisaient de les tuer sous peine de mort. Le canard mandarin était au nombre de ces privilégiés. Un jour un enfant, ignorant ou méprisant cette interdiction, s’amuse à viser un canard avec une pierre, et il est assez malheureusement adroit pour le tuer du coup. Grand scandale ! on arrête le pauvre petit criminel et on le traîne devant un juge. Celui-ci prend sa mine la plus rébarbative, et rappelle que la loi punit de mort le meurtre d’un de ces volatiles sacrés. «Si donc, ajouta-t-il, l’oiseau est bien réellement mort, l’enfant mourra ; mais il faut d’abord