Page:Villeneuve - Le Temps et la patience, tome 1.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
82
LE TEMPS

noit ; & avec la même promptitude, il rétablissoit ce qu’il avoit détruit, ou faisoit quelque chose de nouveau. D’un coup de faulx, il renversoit un Roi du Trône, y plaçant par la même action un Berger ; il anéantissoit des Villes, tarissoit des fleuves, mettoit des étangs & des déserts dans les places qui auparavant étoient occupées par des Royaumes, faisant disparoître aussi subitement la beauté, la santé, les honneurs & les trésors.

Enfin, le songe le plus diversifié & le plus singulier ne peut fournir à un esprit dont il s’est emparé, tant d’objets différents que le Temps en fit paroître dans un instant aux yeux de ses spectateurs ; il ne leur en fallut pas davantage pour le voir aussi opposé à lui-même : il se montroit, dans ce court espace, jeune, vieux, triste, irrité, joyeux, doux, tranquille, furieux, bon, mauvais, heureux, misérable, pauvre, cruel, pitoyable, opulent, favorable & menaçant.

Des changements aussi subits prouverent à Benga & à ses compagnes qu’il n’y avoit rien de moins sûr que la protection d’une puissance aussi inconstante, & de qui la faveur n’avoit pas un fondement plus solide ; ensorte que si la Patience n’eût soutenu les Princesses, elles