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ET SUR LA POÉSIE LYRIQUE.

Mais disons de la poésie hébraïque qu’elle est incomparable dans la tendresse comme dans la haine, dans la bénédiction comme dans l’anathème : poésie la plus humaine de toutes, quel que soit le merveilleux de son origine, parce qu’elle exprime plus qu’aucune autre la passion et les mouvements du cœur ! Poésie patriotique aussi, et d’autant plus éloquente qu’elle gémit sur de plus grands maux, et que la servitude de son peuple est, à ses yeux, non pas seulement une oppression, mais un sacrilége !

Tel était donc, trois siècles avant les luttes de la Grèce contre l’Asie barbare, le degré de sublime où, devant les maux de la patrie juive et la chute espérée de son oppresseur, s’élevait la voix d’Isaïe, d’un homme de race sacerdotale et royale, de celui qui plus tard paya sa dette à la tyrannie, et, dans sa patrie délivrée du joug étranger, subit, sous un roi ingrat et féroce, le supplice d’être scié par le milieu du corps.

Ainsi les prophètes hébreux, sous des tortures plus atroces, rencontraient déjà le sort réservé plus tard aux orateurs d’Athènes. Ils représentaient, avec le rayon de feu sur le front, ce même combat de l’intelligence et de la vertu contre l’invasion homicide du dehors et la tyrannie homicide du dedans. Ils étaient aussi les chefs de la lutte, les otages de la paix et les victimes propitiatoires de la servitude. Comme toutes les grandes choses se touchent dans le monde, comme une même ardeur de dévouement et de courage s’éveille, à certaines