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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

comme si tous étaient ennemis de tous. Et cependant, sur cette laborieuse arène des intérêts privés, quel souffle commun de patriotisme rapproche soudainement tous les cœurs américains ! Comme l’Union parut grande lorsqu’elle fut menacée ! Comme le souffle de la liberté commune anima tous ces âpres égoïsmes, et comme le génie naissant de la jeune Amérique accueillit rudement sur ses rivages l’attaque, injuste alors, d’étrangers envahisseurs !

On ne peut donc en douter : à cette race sans nom, à ce peuple multiple et mêlé qui s’étend si loin du nord au sud de l’Amérique, appartient déjà le meilleur des enthousiasmes patriotiques, celui qui tient à la liberté comme au sol, et qui a respiré l’amour des lois avec l’air natal. Et puis, à cette race fière de sa force, ne pouvant presque supporter d’autre joug que le péril et le travail, un frein salutaire est apporté par la religion, par l’ardeur de la foi et la discipline du culte. Ce puritanisme qui avait renversé dans le sang les distinctions et les pouvoirs de la vieille société anglaise, est devenu de bonne heure le ciment et le lien de l’égalité américaine. Il a, sur cette vaste terre, suppléé par le scrupule moral et la contrainte volontaire à la rare et timide intervention d’une force officielle ; il a gouverné religieusement ces hommes si difficiles à maîtriser par l’autorité humaine ; et ainsi, à cette société active et calme, irrésistible et presque incontrôlable dans son droit populaire, il avait donné pour contre-poids