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ESSAIS SUR LE GÉNIE DE PINDARE

pourrais m’élever jusqu’aux dons célestes que me déroba la main cruelle de la douleur !

Dissipe, par moments, la nuit qui m’environne. Laisse-moi regarder ton éclatante lumière ; et que mon âme, saisie d’un pur enthousiasme, soit digne de te contempler ! Toujours dédaigneux de ce qui est vulgaire et petit, j’ai travaillé pour le sublime et le terrible. Aux coups de l’ouragan furieux, aux rejaillissements de l’éclair sur mon front, je palpitais de joie.

J’ai vu l’Océan, soulevé par l’astre des tempêtes, assaillir ma barque et m’ouvrir ses abîmes. J’en aimais le péril ; mais la colère de l’Océan n’a pas laissé dans mon âme l’impression que me fait la grandeur.

Tu cours limpide et majestueux ; et soudain, brisé sur d’âpres rochers, tu t’élances, indomptable comme le destin. Quelle voix humaine pourrait décrire la terrible lumière de cette syrte mugissante ? Mon âme se confond à méditer sur ce torrent, que ma vue troublée cherche en vain à suivre, aux bords étroits du précipice : mille vagues, dont la vitesse dépasse toute pensée, se choquent et se combattent ; mille autres vagues les atteignent, et, entre l’écume et le bruit, disparaissent à mesure qu’elles arrivent.

L’abîme engloutit ces torrents. Au-dessus se croisent des arcs-en-ciel sans nombre, et les bords assourdis prolongent un bruit épouvantable. Heurtant les rochers, l’eau se brise et rebondit. Un nuage de